Temporelles

Temporelles

"Se refusant à une lecture exclusivement spatiale, les "Temporelles" renvoient à ceci que temps il y a, horizon et espace de toute présence." Alexandre Schild, philosophe

D'abord poser la règle du jeu, comme il convient à toute peinture de contrainte: préparer une quantité déterminée de pigments et d'huile, s'y tenir, et en couvrir une toile écrue, en bandes. Dans le sens de la lecture, occidentale ou arabe. 

La peinture s’épuisant, elle devient de plus en plus minimale, inscrivant dans la toile son inéluctable raréfaction. Du pigment pour des tableaux sabliers. 

 Car c’est du temps que ces œuvres sont imprégnées, que l’on voit défiler devant nos yeux au fur et à mesure de leur décrue picturale. Mais une temporalité créatrice d’espace, puisque le hasard et le rythme des empreintes en viennent à dessiner de fausses perspectives, parfois évocatrices de paysages asiatiques, ou rappelant des pellicules de cinéma abstrait. C’est l’oscillation entre ces deux lectures, temporelle ou spatiale, qui fait la force esthétique de ces images.

Le temps en vient même à infiltrer la matérialité des Temporelles, dont la plupart sont faites d’une émulsion d’huile et de pigments très liquide, posée sur du lin non préparé. La durée de vie d'une Temporelle sera donc plus courte que celle d'un tableau protégé par une couche de gesso. Quelques dizaines d'années sans doute, plutôt que deux ou trois centaines. Proches au fond de la vie d'un homme. Risquant de se désagréger en lambeaux effilochés, la toile porte le temps dans sa chair. Dégradation programmée, ruine en puissance qui doublera celle de son propriétaire.

La même impression de vulnérabilité se retrouve dans les récentes encres ou acryliques sur papier de soie, plus explosives, mais relayant toujours l’interaction spatio-temporelle dans une arborescence poétisée.

A ces peintures assurément méditatives, proches des classiques memento mori, se greffent des réveils affolés par un dérèglement absurde de leurs aiguilles. 

 

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L’ensemble de cette série appartient à un art de contrainte, qui depuis le 20ème siècle, met l’accent sur la procédure de fabrication de l’œuvre, définie au préalable et permettant un autre rapport à la création. Si l’artiste définit le mode d’emploi, restant ainsi auteur du produit final, il fait un pas de côté pour laisser le hasard et la répétitivité s’emparer du résultat formel. Cette sorte d’effacement démiurgique au profit d’une machine créatrice, pour ne pas dire célibataire, renvoie autant à la problématique de l’intelligence artificielle qui, une fois lancée, conçoit toute seule, qu’à la question plus existentielle du hasard et de la nécessité. La contrainte n’est donc pas seulement la négation d’un jaillissement créateur, mais bien plutôt la possibilité de rendre visible le processus de création, tout en ouvrant un champ d’expérimentation où le hasard et la maîtrise acquise en cours de route forment un couple diabolique d’efficacité. 

Les Temporelles nous offrent donc un exemple saisissant d’une peinture travaillée par des paires d’opposés complémentaires, temps/espace, plein/vide, hasard/nécessité, qui lui donnent consistance et énergie.

 

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John Lippens

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