Construire un site Internet est tout aussi effrayant qu’excitant.
Plus de quinze années de création allaient rejoindre le nuage virtuel et mon envie était de créer un espace qui les structure, sans pour autant les glacer dans des catégorisations imperméables. Deux problèmes primordiaux furent alors au centre de mes réflexions:
• primo, comment organiser l’arborescence d’une production artistique ?
• secundo, comment éviter une dimension trop marquée de rétrospective, qu’autorise le volume de stockage numérique ?
Le premier souci concerne la question de la catégorisation, mécanisme psychique de base, au cœur de la capacité de penser en termes d’analogies.
Catégorisation indispensable, mais entachée d’une mauvaise réputation: entre catégoriser et cataloguer, l’écart est mince et il est souvent difficile de ne pas glisser de classification à hiérarchisation. Or, de cela j’étais sûr : je ne voulais pas d’un menu qui isole ses éléments ou qui suive une logique d’emboîtement trop causale. Mais je ne voulais pas non plus de la confusion possible d’une arborescence mal comprise, où le tout serait dans le tout.
Dans « De l’arbre au labyrinthe », Umberto Eco insiste sur la différence entre une classification de type dictionnaire et celle dite encyclopédique qui permet non de « trouver quelque chose, que l’on connaissait déjà et qui était rangé à sa place, pour l’utiliser à des fins argumentatives, mais véritablement découvrir quelque chose, ou la relation entre deux ou plusieurs choses, dont on ne savait rien encore »
Déclaration proche de l’esprit de Deleuze et Guattari lorsqu’ils affirment dans « Mille plateaux » qu’une organisation rhizomatique de la connaissance est une méthode pour exercer une résistance contre un modèle hiérarchique qui traduit en termes épistémologiques une structure sociale oppressive.
Les rhizomes, cela me plaisait. Un site intra-connecté, avec des éléments déplaçables, qui peuvent se trouver en plusieurs endroits, et dont la présence éclaire celle d’autres unités. Il fallait absolument favoriser des catégories ouvertes, connectées, hétérogènes, et non hiérarchisées.
Mais…le menu classique en haut de page, avec œuvres, expositions, bio, newsletter, contact…peut-on s’y soustraire ?
Oui, il n’y a qu’à visiter le site de Wim Delvoye pour s’en convaincre. Hélas, les moyens logiciels et graphiques à déployer semblaient financièrement inaccessibles.
J’ai donc opté pour une solution hybride, à l’architecture technique relativement classique, mais où la connectivité et l’hétérogénéité se glissent conceptuellement à l’intérieur des modules.
Cinq menus accueillent le visiteur : Entrée, Multiples, Contacts, Vous et Atelier.
Entrée donne accès aux neuf rosaces, portant chacune un thème : Insouciances, Sacrés, Espaces, Temps, Enquêtes, Expériences, Désirs, Combats, Virtuels.
Ces thèmes sont munis d’une force de différenciation, mais pas au point d’empêcher le déplacement d’une série dans une autre rosace.
A l’intérieur de ces rosaces, des éléments en lien avec le thème, qu’ils soient œuvres, textes, expositions, biographie ou interpellation de l’internaute.
Multiples fait office de boutique virtuelle avec les multiples et les produits dérivés issus des séries découvertes précédemment.
Contact permet les échanges entre les internautes et moi-même.
Vous encourage l'internaute à participer à l'élaboration ou à la finition de certaines séries.
Atelier présente les événements passés ou à venir dans mon atelier bruxellois.
Cette formule ne permet certes pas une navigation tendue, où l’on trouve rapidement ce que l’on cherche, mais je milite pour un web où l’on prend son temps. Une forme de zen numérique, qui permet à la pensée de s’enrichir de connexions inattendues plutôt que d’être surstimulée par l’excès et la vitesse.
Le deuxième problème se posait ainsi: résister à la tentation de faire du site une grande rétrospective. Ce n’est jamais bon les rétrospectives…cela sent la mise au rancart ou le fol espoir de tout saisir par la grâce de la synthèse. Vous ne trouverez donc que peu de dates sous les œuvres; cela permet de ne pas se crisper sur la chronologie et surtout de laisser les séries respirer. Rares sont celles que je considère comme terminées. J’ai beau avoir peint ma dernière Temporelle le 31 décembre 1999 (évidemment…), je n’exclus pas une rechute insensée (qui s'est effectivement produite en 2023, soit quelques années après la rédaction de ce texte).
Vous ne trouverez pas non plus certaines séries, commencées parfois il y a 20 ans (« La vie des larves », par exemple), mais dont la vie souterraine doit encore se poursuivre.
D’ailleurs, comme je l’explique dans mon texte sur l’art en tant que processus parasitaire, je préfère parler de cycles plutôt que de séries. Donc d’organismes vivants qui parfois sommeillent pour renaître subitement. Ce n’est jamais fini, quoi. C’est pour cela que l’art nous dépasse.
Un site non exhaustif et non daté, mais évolutif, ouvert, et participatif. Qu’il vive, grâce à vous !